Et s’il apprenait plus en marchant qu’en écrivant?
- Anne-Marie
- il y a 4 jours
- 4 min de lecture
Une réflexion sur l’apprentissage libre, les doutes et la richesse des jours simples.
Il y a des jours où je doute.
Même après avoir été enseignante, même avec tout ce que je sais sur le développement de l’enfant, même en ayant choisi le homeschooling avec cœur… je me demande régulièrement: est-ce que ce que je lui offre est suffisant ?
Parce que j’ai été formée dans un système où apprendre, c’est souvent avancer à un rythme imposé. Où la progression se mesure. Où chaque minute compte, chaque notion doit être «couverte», chaque enfant doit suivre, même si chacun est profondément unique. Et même si les enseignants sont bienveillants, attentifs, passionnés… ils doivent composer avec des programmes, des délais, des groupes.
Alors, malgré tout ce que j’essaie de déconstruire, j’ai encore dans la tête des images de ce que "devrait" être un enfant qui apprend. Un enfant qui lit de façon fluide à tel âge. Qui écrit sans faute. Qui fait ses fiches, ses pages, ses devoirs.
Et puis il y a des journées comme celle d’hier.
Le matin, après notre routine douce, il s’est installé pour dessiner en écoutant une histoire audio. Et sans que je ne propose rien, il s’est mis à créer ses propres bandes dessinées. Page après page, il me demandait : « Maman, comment on écrit pif ? Et pow ? Et badaboum ? » Il voulait nommer les sons, les transcrire, les explorer. Il a rempli quasiment vingt pages. Vingt pages de sons, de dessins, d’explosions joyeuses. Un apprentissage émergé de lui, vibrant, profond.
Et l’après-midi, il m’a demandé si on pouvait marcher jusqu’à la roche de Main noire, celle qui l’intrigue depuis longtemps. Une roche associée à une légende familiale. Une roche loin. Très loin. On a préparé un sac de collation, pris les jumelles, et on est partis.
J’ai tenu sa main avec chaleur parce que c’était SA demande. Une demande rare. Il a observé les bernaches revenues du sud, les glaçons qui dégouttaient des falaises, les traces de chevreuil sur la plage, les plumes de dindon sauvage. Il a discuté des rythmes des marées, parlé de l’importance de protéger la nature, de tout ce qu’elle nous donne.
Et il a marché.
Longtemps.
Puis, sur le chemin du retour, il a voulu ramener une énorme branche-souche. Très lourde pour lui. Je lui ai offert mon aide, mais il a refusé. Il voulait la traîner lui-même. Il l’a fait. Jusqu’au bout. Sans jamais se plaindre.
Et là, j’ai vu sa persévérance, sa force intérieure, sa détermination — celles qu’on ne remarque pas toujours quand il s’agit de faire une fiche ou d’écrire une phrase. (Même que je pense absente lorsqu’il fait une tâche dite plus «scolaire».) Mais qui étaient là, bien vivantes, dans cette marche, dans ce désir, dans ce lien.
Alors non, il ne lit pas encore couramment. Il n’écrit certainement pas comme la plupart des élèves de première année de l’école du coin. Mais il observe. Il ressent. Il s’émerveille. Il se relie. Il connaît le nom des oiseaux, le cycle des marées, il sait où poser le regard pour trouver une trace, un signe du vivant.
Et surtout… il est connecté à lui-même. À l’humain. À la nature. À moi.
Hier, j’ai su avec certitude que personne au monde n’aurait pu me convaincre que ce qu’on vivait n’était «pas assez». Parce que c’était immense. Vrai. Nourrissant.
Et j’ai eu envie de te le dire, à toi qui doute peut-être aussi. Parce que dans cette grandiose simplicité, il y a tout ce qui compte vraiment.
Je partage tout cela, non pas comme un modèle à atteindre, mais comme une trace de réflexion. Parce que je sais que nous sommes nombreux et nombreuses à porter en nous ce tiraillement : entre ce que l’on croit devoir faire… et ce que notre cœur sait déjà.
Je pense à tous ces parents à la maison qui se demandent s’ils en font assez. À ceux qui regardent les cahiers des enfants du voisinage, les lectures fluides, les devoirs bien faits. À ceux qui ont peur de «prendre du retard», de ne pas cocher toutes les cases.
Mais si on changeait la question ? Et si, au lieu de nous demander «Est-ce que j’en fais assez ?», on se demandait :
Est-ce que je nourris le lien ? Est-ce que mon enfant peut apprendre dans la joie ? Est-ce qu’il se sent vu, entendu, respecté dans son rythme ? Est-ce qu’il est en train de devenir un humain curieux, sensible, connecté au monde ?
Hier, j’ai vu que c’était le cas pour mon fils. Et j’ai senti, profondément, que c’était suffisant. Mieux que suffisant, même. C’était juste. Plein. Évident.
Parce qu’apprendre, c’est bien plus que lire vite ou écrire droit. C’est marcher des kilomètres pour toucher une légende du bout des doigts. C’est ramener une branche-souche comme un trésor qu’on a gagné avec courage et persévérance. C’est créer des pages et des pages de sons inventés, de plaisir et de mots. C’est tenir la main de sa maman en observant les bernaches avec le soleil qui nous réchauffe.
Et c’est de là, je crois, que naissent les plus belles racines.
Voici les réflexions d'une maman en chemin...
Comments